Né à Milan en 1926 dans une famille juive originaire d’Edirne en Thrace, Isaac Papo a fondé et dirigé durant quarante ans le département de neurochirurgie de l’hôpital d’Ancône. En marge de ses activités professionnelles, il s’est intéressé à l’histoire des communautés sépharades des Balkans. Une odyssée judéo-espagnole, d’abord publiée en espagnol, puis en italien constitue la somme de trente années de recherches, de voyages et de rencontres. Isaac Papo ne se contente pas de restituer la trajectoire de sa famille depuis son long séjour dans l’Empire ottoman jusqu’à ses exils en Italie et en Espagne où elle se réfugie en 1942. Il s’efforce à travers cet exemple de comprendre les ressorts psychologiques du monde judéo-espagnol, d’en restituer tout le charme, fruit de la rencontre entre cultures d’Orient et d’Occident, mais aussi d’en montrer l’inéluctable déclin. D’anecdotes en réflexions, ce sont plus de cent cinquante ans d’histoire européenne qui défilent ainsi sous nos yeux, sans aucune complaisance ni sentimentalisme, mais en sacrifiant à l’impératif biblique « Souviens‑toi ! »
« Je conserve dans ma mémoire et dans mon cœur non seulement les merveilleux réverbères à gaz du Paseo de Gracia, mais aussi des aspects disparus, oubliés et souvent inconnus de la plupart des citoyens. Parmi eux, les figures autrefois familières du sereno, dont García Márquez fit l’éloge chaleureux dans ses Notas de prensa, et du vigilante.
S’il s’agissait, pour les plus jeunes d’entre nous, de figures surgies d’un passé lointain, peut-être de ce XIXe siècle qui n’était pas encore achevé dans la péninsule ibérique, ils rappelaient aux plus âgés des personnages typiques de leur enfance et de leur adolescence à Edirne. Ils effectuaient des tâches aujourd’hui impensables : conserver les clefs de la porte d’entrée que personne ne possédait (il suffisait de claquer dans ses mains, et le vigilante survenait en signalant son arrivée avec sa canne ferrée), aller chercher le médecin en cas de nécessité, avertir la police quand quelqu’un se conduisait mal. Dans les villages, le sereno annonçait l’heure et le temps qu’il faisait. Les plus âgés associèrent immédiatement la figure du sereno et celle du vigilante à celle du pasvant de l’Empire ottoman, qui, muni de son fener, sa lanterne, et de sa canne à pointe ferrée, exerçait ces mêmes fonctions dans les rues d’Edirne et dans les villes des Balkans. »