Comment évoquer une vie, une jeunesse, une enfance dans toute son amplitude ? Qu’est-ce qui nous constitue véritablement et peut résister au temps ? Et si nous étions un arbre, vers quel ciel tendent nos branches et dans quelle terre plongent nos racines ?
L’écriture est sans doute l’un de ces moyens imparfaits qui permet de capter un peu de nos vies et d’en partager l’expérience.
Myriam Moscona dans cette œuvre ambitieuse relève l’éternel défi d’une façon toute personnelle qui associe intimement le plus quotidien au monde onirique. La vie prend l’apparence d’un mille-feuille, de mille couches de sédiments accumulés à travers lesquelles seules la mémoire et l’imagination peuvent circuler. Il y a bien sûr ce que l’on sait ou que l’on croit savoir à travers les livres d’histoire, les récits rapportés qui fixent des repères fidèles. Il y a les souvenirs embrumés de l’enfance dont émergent des scènes matricielles. Il y a les voyages qui permettent de remonter aux sources du temps. Il y a les traces de nos lectures qui résonnent encore en nous. Il y a la polyphonie des langues qui se répondent et ne se traduisent pas. Il y a surtout les rêves qui font remonter à la surface ce qui ne passe pas et continue de nous hanter.
Au terme de ce voyage à travers des ombres, tout ne sera pas élucidé, mais ce qui restera pour partie obscur, car d’ordre poétique est peut-être la plus grande richesse de ce livre polyphonique.
Un très long voyage à Acapulco dans une Buick noire du début des années soixante. Je regarde par la lunette arrière de la voiture. Ce paysage à l’envers m’incite à compter les arbres qui surgissent comme des coups de fouet. Partir à Acapulco, c’est se lever aux aurores et supporter une chaleur terrible pour avoir le bonheur d’y trouver une mer chaude, si différente de celle des terres froides d’antan.
Iguala, Tierra Caliente, Chilpancingo. Torpeur, impatience, agitation. On est encore loin ? Celui qui voit la mer en premier a gagné. J’ai gagné ! Non, c’est moi, rétorque mon frère, persuadé que c’est ainsi que la guerre de Troie a commencé.
À l’aube, avant que le soleil se lève, mon père me réveille. « Tu viens nager ? » Je peine à me lever et à me déshabiller, mais je parviens à enfiler mon maillot de bain et à filer à la plage en le tenant par la main. Le clair de lune illumine les vagues. Nous entrons dans une eau à peine plus fraîche que l’air. Des pêcheurs tirent leurs barques sur le sable. Ils nous disent « bonjour » et je leur réponds « bonne nuit ».