Forte au début du XXe siècle de plus de 100 000 personnes, la communauté juive de Turquie ne représente plus aujourd’hui qu’un dixième de ce chiffre. Alors qu’elles voyaient nombre de leurs proches partir et qu’elles s’interrogeaient sur leur propre avenir, Rita Ender et Reysi Kamhi, toutes deux natives d’Istanbul, ont demandé à trente jeunes Juifs de Turquie de choisir un objet de famille et de leur en confier l’histoire.
Au fil de ces conversations intimes, s’esquisse peu à peu la vie de communautés, de familles et de personnes marquées par les épreuves de la guerre et de l’émigration qui viennent plus d’une fois rompre la chaîne des générations. La question de la transmission n’en demeure pas moins vive, qu’elle s’éprouve sur le mode de la fidélité, de l’absence ou de la nostalgie.
Le secret n’est pas le même chez les hommes et chez les femmes. Par exemple, la circoncision des garçons en Turquie est accomplie devant plusieurs « spectateurs » et fêtée selon les traditions juives.
La question de la circoncision est assez intéressante. Je pense qu’aucune mère ne peut suivre d’un bout à l’autre la circoncision de son fils. On coupe un bout de son bébé, c’est un acte où entre une part de sauvagerie. En réalité, celui qui l’accomplit fait mal à une autre personne. Le bébé circoncis est privé de son choix d’être ou de ne pas être circoncis. C’est un sujet très débattu actuellement dans le monde : la circoncision peut-elle être considérée comme une violation des droits de l’homme ? Quand j’ai entendu cette question pour la première fois, je l’ai trouvée ridicule. Je disais : « C’est culturel. » Mais plus j’y pense, plus je peux dire que c’est une atteinte à l’intégrité du corps. J’ai même dit à mon père : « Si j’ai un garçon je ne vais pas le faire circoncire ! » Et mon père m’a répondu : « Si j’ai un petit-fils je vais le faire circoncire ! » Dans ce cas, il va attendre que son fils ait un garçon. Je me suis fait aussi cette réflexion. Je suis art-thérapeute. Il y a une technique que nous utilisons : par exemple, je suis là, vous êtes là, et nous discutons. Si le placard qui est là pouvait parler, comment aurait-il parlé de cela ? Et si cette pince de circoncision pouvait parler, que raconterait-elle ?
D’après vous, que raconterait-elle ?
Elle raconterait la douleur. Elle raconterait combien il est bizarre que tant de gens s’habillent aussi chic parce qu’un enfant aura mal. Elle raconterait que le bébé est tenu dans les bras de quelqu’un, mais que personne ne le regarde, car personne ne veut voir la scène. Puis, elle aurait sans doute dit : « Cet homme, c’est moi qui l’ai tenu », « Lui aussi, c’était moi », « Celui-là est devenu ingénieur », « Et celui-ci avocat »…